Revue d'Etudes Culturelles en Ligne
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Chers RECELeurs/euses,

Nous ouvrons ce nouvel espace pour faire pendant à notre cher blog www.etudesculturelles.blogspot.com.

Dans ce format plus vaste nous nous proposons de lancer une véritable revue électronique qui accompagne la progression de notre Revue d'Etudes Culturelles, publiée off-line par ABELL, Dijon.

Présentation

  Pourquoi une revue d’études culturelles en France, et pourquoi l’enter sur le comparatisme littéraire ?

Il s’agit naturellement, en premier lieu, de combler ce qu’il faut bien considérer comme une lacune importante dans le panorama
universitaire français. Cette « exception française »[1]– si frappante alors que les études culturelles règnent en maîtresses sur les Etats-Unis, l’Amérique latine, l’Australie et la quasi-totalité de l’Europe occidentale – ne s’explique pas seulement par ce « provincialisme » qu’Armand Mattelard et Erik Neveu
repèrent au coeur de la recherche et de l’enseignement supérieur en France[2],

tourmentés essentiellement par de minuscules problèmes nationaux. Cette revue répond conjointement à la volonté conjointe d’inventorier les recherches menées depuis plusieurs années dans le sillage du poststructuralisme, et de donner à ceux qui les conduisent une tribune, sans nécessairement s’enfermer dans un esprit de corps réducteur[3].

La notion de culture, on le sait, connaît un succès croissant dans toutes les sciences humaines, provoquant une inflation sémantique qui se change rapidement en véritable brouillage conceptuel. Toute forme d’expression collective est inéluctablement promue au rang de culture, de la « culture footballistique » à la « culture SMS » (ou S.M. tout court), de la « culture pub » à cette navrante « culture d’entreprise » qui fait la joie néologique des décideurs.

La notion envahit même le vocabulaire politique, où elle se substitue à d’autres termes désormais suspects comme ceux d’idéologie (Le Figaro littéraire, par exemple, pérore, à tout propos, sur la « culture de droite ») ou de race (la fameuse « culture d’origine » au nom de laquelle, en France, fut longtemps tolérée l’excision).

Parallèlement à cette manipulation du concept, les études culturelles (les Cultural Studies, les Cultstuds) se sont affirmées dans les pays anglo-américains comme la matrice d’une possible redéfinition disciplinaire des études littéraires, puis des sciences humaines dans leur ensemble, avec des extensions, via l’épistémologie, dans le débat des sciences exactes. En France, l’Université a jusqu’ici ignoré ou discrédité ce projet, prolongeant en fait une querelle qui remonte au conflit idéologique entre universalisme (français) des Lumières et particularisme culturel (allemand) du Romantisme. C’est cette réticence française à l’égard du culturalisme – réticence qui est elle-même un phénomène culturel – que nous tenterons d’étudier, sinon de vaincre, grâce à cette revue, sans pour autant nous plier aux directives des Cultural Studies angloaméricaines.

Afin de situer plus précisément ce projet novateur, qui n’est cependant pas entièrement marginal, il s’agit, d’entrée de jeu, d’indiquer comment les études culturelles constituent, outre-Atlantique, un nouveau paradigme, le fameux cultural turn de David Chaney ayant succédé au linguistic turn du premier structuralisme. L’arrivée en force, dans les institutions et les discours des humanities nord-américaines, de l’anthropologie culturelle dans l’après-guerre marqua sans aucun doute l’irruption du concept de culture, tel que l’avaient patiemment élaboré les pionniers de cette discipline-phare, depuis Edward Tylor jusqu’à Clifford Geertz. D’autres disciplines s’en étaient déjà emparées, notamment la sociologie à travers l’étude des « sous-cultures » des différentes communautés urbaines (Ecole de Chicago), des phénomènes d’acculturation des immigrés et de syncrétisme culturel (l’afro-américanologie créée par Herskovits en 1928). C’est dans ce contexte que la culture pop (par opposition à ce que l’on avait considéré, depuis l’âge classique, comme la culture, la fameuse « high culture » de Leavis) devient le centre d’attention de plusieurs penseurs interdisciplinaires, notamment les exilés de l’Ecole de Francfort: analyser les sous-cultures ouvrières conduisant ipso facto à faire de la vitalité des industries culturelles de masse un symptôme idéologique. Anthropologie et sociologie venaient ainsi refléter et examiner l’hétérogénéité culturelle constitutive du melting pot  américain, à l’opposé des théories assimilationnistes républicaines qui avaient cours dans l’idéologie française. Celles-ci privilégièrent la question sociale unificatrice (la notion des classes) et l’holisme méthodologique (le sociétal), bloquant l’émergence du concept anthropologique de culture et proposant une série de synonymes dénégateurs[4]dont le plus fertile fut sans
doute celui de mentalité, proposé par Lucien Lévy-Bruhl, repris par Marcel Mauss et enfin intronisé par les historiens des Annales comme (déjà) nouveau paradigme.

Le décalage, malgré l’émergence dans les années 1950 d’une anthropologie française (le séjour de Lévi-Strauss aux Etats-Unis entre 1941 et 1947 étant à ce titre significatif), vient donc de loin. Si corrélativement on observe un universalisme implicite dans la quête structuraliste des invariants statiques, on constate que même au sein du discours anthropologique le fossé subsiste et s’accroît peut-être avec le succès transdisciplinaire des notions forgées par Lévi- Strauss dans les années 1960 et 1970. Parallèlement le débat culturaliste ressurgit en Angleterre autour du Centre for Contemporary Cultural Studies créé à l’Université de Birmingham en 1963 et qui donnera son nom à ce nouveau courant théorique. Ses fondateurs étaient pour la plupart des spécialistes de la littérature d’orientation marxiste, comme Richard Hoggart, Raymond Williams, Stuart Hall, Simon Frith, David Morley ou Dick Hebdige, désireux d’opposer à la conception élitiste de la culture – propre aux public schools et signe d’une domination de classe – une vision beaucoup plus large, ouverte aux « souscultures » (selon le titre de l’étude de Hebdige sur les mods, les rockers et les skin-heads des Sixties) ou encore à cette « culture du pauvre » étudiée par Hoggart[5]. Le groupe de Birmingham produisit une masse impressionnante de travaux, les fameux Working papers portant sur les cultures populaires et les mass média – champs jusqu’alors tenus en marge des institutions universitaires: du base-ball au soap opera, de la prostitution aux parades de foire, de la bande dessinée aux perversions rares, des cimetières aux casinos, du cinéma populaire à la haute littérature.

C’est donc très progressivement que la constellation culturaliste, qui donnera naissance aux Cultural Studies, prend forme, des deux côtés de l’Atlantique. Une étude comme celle de Margaret Mead sur les Moeurs et la sexualité en Océanie (1928), par exemple, inaugure une réflexion sur la distribution symbolique des rôles sexuels et annonce les gender studies féministes. La sémiologie, créée par Peirce à la frontière de plusieurs autres disciplines dont l’ethnologie, s’inscrit aussi dans le débat culturaliste à travers les travaux d’Edward Sapir puis l’« anthropologie de la communication » de Palo Alto, laquelle devait ensuite marquer profondément les théories psychologiques issues de Freud, comme l’indique le cas de Gregory Bateson. C’est dans ce contexte que doit être comprise l’irruption de la French Theory et sa curieuse incorporation au sein du culturalisme anglo-américain[6]. Imprégnées des analyses et théories de Foucault, d’Althusser, de Barthes, de Julia Kristeva, de Jean Baudrillard, de Christian Metz, de Michel de Certeau, de Derrida, de Deleuze et de Guattari, les Cultural Studies vont s’opposer à la lecture déconstructiviste du legs poststructuraliste dans une sorte de scission épistémologique de celui-ci.

C’est alors un nouveau culturalisme qui apparaît, nourri du soupçon herméneutique de la French Theory mais aussi de Gramsci, de Benjamin, d’Adorno, de Horkheimer, de Lukács, de Bakhtine ou d’Habermas, ainsi que d’une volonté critique à l’égard des « grands récits » émancipateurs du XIXe siècle.

Face aux apories néo-talmudiques des derridiens, les Cultural studies apparaissent comme une manière de faire de la politique par d’autres moyens, c’est-à-dire de parvenir à des niveaux de compréhension du social qui permettent de le modifier; d’identifier des relations de domination en essayant de voir comment elles peuvent ne pas être nécessaires ou contrariées; de signifier qu’il faut politiser la théorie et théoriser les politiques. Nul étonnement en conséquence à ce que les Cultural Studies – dont la naissance même est liée à l’essor, en Grande-Bretagne, de la nouvelle gauche – se soient fondées (et se fondent aujourd’hui encore chez des culturalistes américains tels que Lawrence Grossberg ou Andrew Ross) sur une relecture approfondie de toutes les analyses attentives aux fonctionnements idéologiques du discours et aux processus en jeu dans les relations de pouvoirs, notamment celles de Foucault, d’Althusser et de Bourdieu. C’est au reste cet engagement des Cultural Studies qui explique certains de leurs travers, parmi lesquels une observation superficielle de l’Histoire et de l’économie[7], une conception réductrice de l’idéologie comme texte, une inflation abusive des métadiscours, une relative indifférence à l’égard des flux culturels internationaux. Ainsi, aveuglées par la passion du combat, elles ont parfois chu dans les chausse-trappes du populisme et du misérabilisme et – pis encore ! – dans le discours stéréotypé de la mode, fondé sur une véritable fétichisation d’expressions sémantiquement vides mais fondatrices de la pensée politically correct – laquelle, rappelons-le au passage, est liée non seulement à la manière dont les études culturelles ont modifié l’organisation des champs sociaux, ethniques, sexuels ou religieux, mais aussi au conflit opposant, dans les grandes universités américaines, les tenants des humanities et ceux des minority studies.

En effet, et c’est là l’autre perversion du projet culturaliste, l’hypertrophie du communautarisme américain, puis britannique, entraîne la prolifération de subaltern studies, telles que postcolonial studies, gender studies, women’s studies, queer studies, ou encore la galerie toujours croissante des ethnic studies: African-American studies, Latino-Latina Studies. Ce pullulement est parfois jugé extravagant: le New Yorker raillait dernièrement le développement des études du Geriatric Porn dans les universités des Etats-Unis, et il faut bien reconnaître la dimension cocasse des Inuit Studies de l’université Laval qui vont de l’organisation sociale, politique et linguistique des Eskimos, à la mégafaune de la mer, à l’architecture paléo-esquimaude et à l’oeuvre de Knud Rasmussen.

Ces différents courants sont d’ailleurs souvent liés entre eux par des combinatoires à la carte qui culminent dans des diplômes « à tiret » (lesbianlatino, etc.), aux antipodes de la païdèia universaliste classique. Le risque de communautarisation de la pensée apparaît clairement. Ainsi, paradoxalement, les Cultural Studies, nées du marxisme britannique des années 1950-1960, en sont venues à se concentrer sur l’ethnicité et le genre en délaissant les problèmes de classe, favorisant l’éclatement de ce que Stanley Fish nomme les « interpreting communities ». Textes et phénomènes sont alors réduits à de simples illustrations de théories préexistantes et omnipotentes – théories elles mêmes limitées, puisque quantité de ces mouvements communautaires n’entretiennent avec elles qu’un rapport extrêmement éloigné, et les simplifient à l’extrême en les récupérant. L’idée que la connaissance puisse être l’apanage ou la prérogative d’un groupe – qu’il soit le prolétariat ou une communauté ethnique ou culturelle – n’est qu’un « coup », au sens bourdieusien, dans une stratégie de lutte pour la légitimation et l’hégémonie symbolique. A cet égard, les Cultural Studies – parce qu’elles semblent imposer relativisme culturel et militantisme localiste – font les frais d’un certain anti-américanisme français.

Sous couvert de fourre-tout, elles sont rejetées par les institutions universitaires figées autour d’axes disciplinaires rigides, conspuées par les enseignants-chercheurs dont beaucoup sont, sinon hostiles, du moins sceptiques à l’égard de la théorisation et de la transdisciplinarité[8], et enfin ignorées par les étudiants qui – de plus en plus secondarisés et avides de contenus prêts à servir censés assurer leur réussite aux examens et aux concours de recrutement des enseignements primaire et secondaire – n’entendent dans les démonstrations de Judith Butler, de Deborah Cameron ou de Ruth Wodak qu’un jargon puissamment soporifique.

Jargon dont on sait bien depuis les analyses de Tel Quel que « c’est par ce mot que toute idéologie inconsciente réagit devant la méthode rigoureuse qui la met au jour »[9].

En réalité, aux accusations qui réduisent les études culturelles (comme la sémiotique dont celles-ci sont issues) à une non-discipline, n’ayant ni objet ni méthodologie propres – ou qui se trompent grossièrement quant au sens même de l’interdisciplinarité, à la lisière du ridicule (on reconnaît là les termes du débat lancé par Sokal à l’égard de tout le poststructuralisme) – il est possible de répondre qu’elles se conçoivent comme une approche, une démarche ou une sensibilité définies par autre chose qu’un objet et une méthode. Qu’elles se veulent essentiellement un regard engagé sur une pluralité d’objets (mais pas n’importe lesquels…) et informé par une pluralité de méthodes (mais pas n’importe lesquelles…). Au surplus, elles ne relèvent pas de l’interdisciplinarité au sens classique du terme, puisque la place qu’elles disent viser ne se définit pas en termes de rencontre entre disciplines, mais bien plutôt en termes de contestation réciproque: elles sont autant un dépassement qu’une critique des frontières balisées entre disciplines, entre méthodes et objets. Leur nouveauté réside donc, on le comprend, dans leurs enjeux. Concevant, dès leurs origines (Raymond Williams, E. Thomson, mais aussi Benjamin ou le Barthes des Mythologies), la culture comme un rapport de pouvoir tout en cherchant à en finir avec un matérialisme sourd à la sensibilité du récepteur1, les études culturelles ne sont nullement condamnées à l’éclatement, pas plus qu’au réductionnisme méthodologique. Voilà établies, on l’espère, les limites de notre acceptation du projet culturaliste – projet qui répond, on l’aura compris, à la volonté de réintroduire un certain universalisme dans une dérive communautaire contestable.

C’est là qu’intervient, semble-t-il, la spécificité du comparatisme.
Paradigme-clé du Romantisme – dans la biologie, la linguistique ou l’anthropologie, ce dernier excède largement les limites du littéraire où on le cantonne parfois. Il nous permettra d’aborder, on l’espère, le culturalisme sous un angle nouveau, dépassant à la fois les réticences françaises (parfois légitimes) et les excès (moindres qu’une certaine doxa voudrait le faire croire) angloaméricains.

[1] Jan Baetens, « Les “Etudes culturelles”: encore une exception française ? » in L. D’Hulst & J.-M. Moura (éd.), Etudes littéraires francophones: états des lieux, Lille, 2003. Il conviendrait d’ajouter que les travaux de Florence Dupont tentant d’établir un parallèle entre les épopées homériques d’une part et d’autre part la publicité, les pâtes Panzani, le cinéma, la tauromachie et les séries télévisées (Homère et Dallas, Hachette, 1990) s’inscrivent dans le lointain sillage des Cultstuds (il est au demeurant extrêmement intéressant de comparer les méthodes utilisées dans cet ouvrage avec celles adoptées par Ien Ang dans son Watching Dallas. Soap Opera and the Melodramatic Imagination [Londres, Methuen, 1985]). Remarque qui vaut également pour les travaux de Jean-Claude Passeron sur la sociologie de la culture, pour les études d’histoire des représentations menées autour de Jean-François Sirinelli, pour les recherches entreprises à partir des méthodes de l’Ecole de Tel-Aviv, qui excèdent largement le domaine de la traductologie et dont la théorie des polysystèmes se fonde précisément sur la négation des frontières entre culture de masse et culture savante.

[2] A. Mattelard & E. Neveu, Introduction aux Cultural Studies, Paris, La Découverte, 2003.

[3] Cf. A. Kaenel, C. Lejeune & M.-J. Rossignol, Cultural Studies. Etudes Culturelles, Nancy, PUN, 2003.

[4] Le plus drôle mais aussi le plus outrageant étant condensé dans la traduction (tardive) des Patterns of Culture (1934) par Échantillons de Civilisations (1950).

[5] R. Hoggart, La Culture du pauvre, Paris, Minuit, 1970.

[6] Cf. F. Cusset, French Theory, Foucault, Derrida, Deleuze et Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux Etats-Unis, Paris, La Découverte, 2003.

[7] Voir sur ce point la polémique qui oppose Rosalind Krauss et les tenants des visual studies, ou les critiques formulées par Mieke Bal dans The Practice of Cultural Analysis, Stanford, SUP, 1999. Toutefois, la sévérité de ce jugement demande à être relativisée. Les recherches de Nancy Armstrong, par exemple, montrent comment les liens qui unissent les théories monétaires, la littérature et la photographie au XIXe siècle annoncent l’avènement de la société du spectacle (Fiction in the Age of Photography, Cambridge, Harvard UP, 1999).

[8] Et qui conspuent dans le même temps – sans toujours les bien connaître – l’aliénation que représenteraient la société technique et les moyens de communication de masse.

[9] Ph. Sollers, « Ecriture et révolution », Tel Quel, Théorie d’ensemble, Paris, Seuil, coll. « Points », 1980, p.70



ANTONIO DOMINGUEZ LEIVA                                                                                                                                           SEBASTIEN HUBIER



 

 

 

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