LE NAIN et autres figures de la miniaturisation de l'humain
Les nains sapent sans bruit le travail des géants V. Hugo
Après un premier numéro consacré aux liens qui unissent érotisme et ordre moral, nous nous sommes intéressés aux figures de la miniaturisation anthropomorphique qui traversent la culture occidentale, du nain bouffon au nain tragique, des « hommes qui rétrécissent » aux célèbres Schtroumpfs de Peyo. Du goût des antiques romains pour les nains obscènes à la fascination contemporaine pour les freaks, en passant par la prolifération du « petit peuple » (gnomes, trolls, etc.) dans les corpus épique et arthurien, l’obsession baroque des putti et la réinvention romantique du monstre rapetissé nous traverserons une sorte d’envers du culte de la forme humaine. Cette étude culturaliste du nanisme emprunte des voies méthodologiques diverses, de l’analyse des processus (historiques, artistiques, psychologiques) qui ont conduit à la corruption du topos du puer senex, à la promotion de l’esthétique de la laideur. Toutes les périodes et tous les champs de l’art et des idées ont été abordés : productions romanesques, poétiques, théâtrales, cinématographiques, picturales ou photographiques, etc., genres habituellement considérés comme para- (ou infra-) littéraires, tels que la bande dessinée ou les séries télévisées, phénomènes de mode, influences des modèles philosophiques, scientifiques ou économiques, dispositions légales ou pratiques culturelles diverses. Nains de jardin, lancer de nains et autres formes étonnantes de la « nanomanie» contemporaine trouvent ainsi une cohérence inattendue.
Tables des matières
C. ANNOUSSAMY, Ethique et physiologie du nain dans David Copperfield de Dickens 9
C. BADIOU, Le nain sur les scènes musicales germanophones au début du XXe siècle 19
N. BALUTET, L’importance des nains chez les anciens Mayas 31
A. DOMINGUEZ LEIVA, Des lolitos aux angelots : l’étrange aventure des putti 41
C. FRANÇOIS DENEVE, Ulle de Vicki Baum : un nain à l’aube du IIIe Reich 59
C. FRANÇOIS DENEVE, Big Little Man, Peter Dinklage et The Station Agent 67
J. GADBOIS, Regards de haut, réduction du nain de jardin 71
I. HABITCH, « Car le nain [...] leur avoit bien dit et conté s’aventure toute » 83
L. HELIX, Le nain des romans arthuriens, une merveille très raisonnable 95
S. HUBIER, De très petites dépravations : une promenade au pays des Schtroumpfs 107
A. LAMBRECHT, Le nain de jardin en Allemagne et en France 125
C. LAUNAI, Le nain de jardin entre amor fati et mépris de classe 135
A. LÜTHI, Präsenz der Zwerge in den Bildern Diego Velázquez’ 145
R. PATZAK, The World of the Moomintrolls between Nordic gloominess and joy of life 155
I. PERRIER, Esquisses autour de la figure mythique du nain 169
S. POITRAL, Figures de la naine Jalousie chez René d’Anjou 181
F. THIBAULT, Grandeur du Hobbit dans l’oeuvre de J.R.R. Tolkien 191
F. WESSELER, « Il était une fois à la cour d’Eisenach ». Le nain dans l’opéra 203
C. WRONA, Un peuple en éclat de taille cinématographique 217
Dédicace
Ce volume est dédié à la mémoire de Jean-Pierre Néraudau qui, près du bassin de la maison des Vestales, aimait à retracer en substance l’histoire qu’il rapporte dans son essai, Etre enfant à Rome:
Il y avait dans la Rome impériale un marché de monstres où il était possible de seprocurer toutes les erreurs de la nature. Les nains n’étaient pas tous des erreurs ;certains étaient fabriqués par les ramasseurs d’enfants exposés, qui en enfermaientquelques-uns dans des caisses pour interrompre leur croissance. Un nain, serait-cedonc un enfant qui n’a pas grandi ? La mode d’avoir dans son entourage un ouplusieurs nains se répandit à la fin de la République : Antoine en avait un qui étaitappelé Sisyphe. Auguste aimait trop les enfants et avait un goût trop classique pour secomplaire à la fréquentation baroque du monstrueux. Cependant sa petite fille Julieavait un nain nommé Canopas, qui mesurait à peine quatre-vingts centimètres, et unenaine nommé Andromède […]. Les Princes accordaient à ces avortons une grandeliberté de parole, et, tout en les tenant en marge de la vie, les laissaient décider dequestions politiques. Ils étaient comme la déraison du pouvoir absolu.Il existait, aux confins de la mythologie et de l’histoire, aux frontières de l’Egypte etde l’Ethiopie, un peuple de nains, les Pygmées. L’art hellénistique leur avait donnéune grande place dans son répertoire en situant dans des paysages nilotiques leurscorps petits et grotesques. La mode arriva à Rome et y eut une grande vogue. Lesparois des maisons accueillirent les mésaventures des Pygmées aux prises avec desgrues, ennemies mythiques de leur race, avec des animaux de basse-cour ou avec lesmonstres et les fauves de leur pays. Souvent les détails scatalogiques s’ajoutent àl’humour indécent de leur long pénis et de leurs testicules encombrants. Souvent aussi,ils sont saisis dans leur vie quotidienne, et dans des activités simples que leurspersonnages grotesques transforment en caricatures de la vie. Les Pygmées, commeles nains, sont des monstruosités. Mais ils sont aussi une autre face de l’enfance, carils correspondent, dans le style grossier, à ce que sont, dans le style raffiné, les puttiqui ont souvent les mêmes occupations qu’eux.
J.-P. Néraudau, Etre enfant à Rome (1984), Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque », 1996, p. 366-368.
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